« Je ne suis pas New Age ! » Anthropologie des non-croyants

L’anthropologie, cela a quelque chose d’exotique. Un parfum de grand large ou de savane brûlante, qui secoue les mites des bibliothèques parisiennes.

Des situations surréalistes, j’en ai vues. Des choses bizarres, j’en ai faites. Mais on s’en fiche. Je ne trouve rien de choquant aux individus extrêmes. Ils s’inscrivent dans un imaginaire précis, composé de codes, de conduites, de façons d’êtres et de penser, que ce soit la sorcellerie, le judaïsme, le catholicisme, shamanisme, l’islam, et ils tentent de l’incarner au mieux, avec dignité et en respectant le courant qui porte la barque de leur vie d’une rive à l’autre.

Beaucoup plus étranges à mes yeux sont ces contemporains qui se disent non-croyants, ou mieux encore, qui appartiennent à une confession précise mais dont les pratiques quotidiennes et le rapport au corps s’inscrivent dans un espace symbolique tout autre.
Par non-croyants, je n’entends pas nécessairement des athées. Les personnes qui ne se reconnaissent pas dans un courant spirituel donné, qui refusent une étiquette ou une autorité religieuse, qui font leur vie sans prier, et qui, s’ils ne sont pas fermés à « toutes ces questions là », n’en font pas une part spécifique de leur vie.

Lors d’une soirée, pour présenter un peu ce que je fais, j’ai parlé de ce blog. « Economie, spiritualité et citoyenneté » n’étant pas très parlants, j’ai explicité en parlant de l’influence économique du New Age et de son rôle dans le développement des magasins bios.

A mon grand désarroi, j’ai profondément heurté une personne présente. « Je ne suis pas New Age ! » s’est-elle récriée. Le terme même l’énervait. Si vous aussi vous voulez gâcher la soirée de gens que vous venez de rencontrer, je vous assure, c’est très efficace. Cette femme se reconnait dans la foi orthodoxe, consomme bio, pratique le yoga, et prend autant que possible des produits naturels plutôt que des médicaments chimiques.

Urgence n°1 : me sortir de ce pétrin diplomatique. Je l’avais vraiment mise mal à l’aise, elle s’est sentie enfermée dans une étiquette.  Le terme « New Age », à ses yeux, est totalement dépassé. Je suis entièrement d’accord, mais on a pas grand chose de mieux pour le moment… Massimo Introvigne a bien essayé de diffuser le terme « Next Age » dans le monde de la recherche, mais à ce que j’ai pu lire en France, sans succès. Et la notion elle-même ne présentait pas d’évolution suffisante pour justifier un nouveau terme. De plus, ces considérations épistémologiques ne sont absolument d’aucune aide pour communiquer clairement en soirée !

Urgence n°2 : clarifier mon propos pour ne plus provoquer de telles situations. Comment théoriser intelligemment les transformations du croire contemporain ?

Pour ce qui est de me tirer d’affaire, je ne suis pas sûre d’y être parvenue honorablement. Pourtant, si ma première interview, celle de Caroline, portait volontairement sur une non-croyante, c’était justement pour ne pas enfermer mon travail dans les stéréotypes extrêmes.

Suite à cette discussion, je me suis vraiment demandée comment sortir de cette question du New Age. Il existe bien sûr d’autres carrefours entre économie, spiritualité et citoyenneté, mais les Nouveaux Mouvements Religieux étant plus dans mes cordes, il me semblait logique de commencer par là avant d’explorer de nouveaux territoires.

C’est alors que le fil conducteur le plus important m’est revenu. Le corps. La représentation du corps. Pourquoi ? Parce que les théories indiennes, appropriées par les hippies, puis concurrencées par les chinoises, japonaises, et amérindiennes qui sont désormais à la base des représentations du corps utilisées par les thérapeutes « alternatifs », n’ont rien à voir avec le corps chrétien ou le corps cartésien du corps médical occidental.

Cette modification du corps est essentielle à comprendre. Voici  l’extrait d’un ouvrage de David Le Breton, Corps et Sociétés (sociologies au quotidien, Meridiens Klincksieck, 1988)

« Aujourd’hui, dans les sociétés occidentales, chaque acteur vit avec une connaissance assez floue de son corps. Chacun a reçu un semblant de savoir anatomo-physiologique sur les bancs de l’école ou du lycée, en regardant le squelette des salles de classe, les planches du dictionnaire, ou encore par ces connaissances vulgarisées qui s’échangent quotidiennement entre voisins ou amis et qui proviennent de l’expérience vécue et du contact avec l’institution médicale, l’influence des média, etc. Mais ce savoir demeure confus, rares sont les acteurs qui connaissent réellement l’emplacement des organes ou qui comprennent les principes physiologiques qui structurent les différentes fonctions corporelles.

(…) Souvent en effet, la version très vulgarisée du modèle anatomo-physiologique, est modifiée par les croyances aujourd’hui très banalisées aux ondes, à l’énergie, aux astres, etc., qui renvoient aussi bien à l’apucunture, aux massages chinois, au yoga, à certains aspects vulgarisés de la pensée hindoue, etc. On assiste dans l’aire occidentale à une multiplication vertigineuse des représentations du corps, qui rivalisent les unes avec les autres. »

Je m’arrêterai là pour ce billet, et je garderai en ligne mire que l’on peut adhérer à des contenus de croyances X, mais inscrire ses pratiques et sa corporéité dans un espace symbolique Y sans remettre en question X. Et ce, non parce que l’humain est contradictoire et décidément rebelle aux mathématiques, mais parce que le Y en question est insidieux, regroupe énormément d’éléments plutôt disparates qui vont de la télépathie aux soins énergétiques en passant par les OVNIs, l’alimentation et l’environnement… Toutes ces choses ne sont pas sur le même plan, mais elles possèdent de nombreux ponts qui assurent des flux de contenus et de personnes, et donc une homogénéisation de l’ensemble.

Pour en revenir à l’anecdote de la soirée, plus une chose devient évidente et fait partie de votre vie, moins son histoire et ses implications vous sont visibles. Souhaitez bonne chance à mes futurs hôtes, travailler sur ce qui ne se voit plus risque de créer encore de nombreuses discussions… plus claires à l’avenir, et plus respectueuses pour le ressenti de chacun, je l’espère.

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